• Juliette Quinten, paru dans Le Monde La benjamine des candidats aux législatives appelle la gauche à ne pas transiger avec son identité. Juliette Quinten est candidate PS dans les Yvelines (23 ans), militante anti-CPE en 2006 Il est grand temps pour les socialistes de réaffirmer les fondements de leur identité, de repenser un projet de société en cohérence avec leurs valeurs et de le porter de manière offensive. Car le flou actuel arrange la droite et elle l'exploite savamment : cela lui permet d'avancer masquée tout en dépossédant et en désorientant ceux qui se reconnaissent dans le camp de la gauche et du progrès social. Ainsi Nicolas Sarkozy a su préempter à la gauche le travail, l'histoire, l'idée de progrès. Ainsi, utiliser Jaurès relève de l'imposture : le député socialiste du Tarn fut l'ardent défenseur de la progressivité de l'impôt pour garantir la juste redistribution des richesses, alors que M. Sarkozy est aujourd'hui en train de démanteler notre système fiscal au bénéfice des plus riches. Mais les socialistes eux-mêmes se laissent prendre au piège et acceptent de jouer du registre sémantique de la droite : comment justifier l'usage de termes comme "assistanat" alors qu'il est nécessaire de corriger les inégalités par des mécanismes spécifiques ? Quand nous parlons de "charges sociales" au lieu de "cotisations" (nécessaires à la solidarité entre générations), nous préparons le terrain idéologique de la droite. Les mots ont un sens, ils sont porteurs d'une vision et d'un projet de société. Alors, ne jouons pas avec les mots que la droite assène pour faire valoir sa propre vision du monde. Les socialistes ont la responsabilité de réhabiliter leurs valeurs dans la société et de les remettre au coeur des débats de notre démocratie. Cessons d'être cyniques en flattant les instincts qui sont dans l'air du temps, pour espérer gagner les élections. C'est une chimère, nos électeurs se sentent trahis. C'est en assumant nos valeurs, en nous efforçant de convaincre de leur bien-fondé, que nous pourrons à nouveau rassembler la majorité des électeurs. L'ère de la "rénovation" a sonné, ou plutôt les barrissements de la rénovation. Tous les leaders du PS en parlent : là aussi ne jouons pas avec les mots et ne nous trompons pas sur le sens réel de la rénovation à entreprendre. Il est crucial qu'elle ne soit pas un étendard pour porter les intérêts individuels de tel ou tel. Il est vital pour la gauche que nous n'escamotions pas le débat de fond. La rénovation est attendue par les adhérents socialistes, par nos électeurs et par ceux qui votent socialiste par défaut. La rénovation est avant tout la clarification de notre identité. C'est le devoir de rassembler la gauche au-delà des partis et des contingences électorales, en créant des relations nouvelles avec le milieu syndical, le milieu associatif, intellectuel. La rénovation du Parti socialiste passe également par une mise en phase de ses responsables avec son électorat naturel et potentiel. Comment ne pas s'étonner que la plupart des grands leaders sortent de Sciences Po Paris ? Que beaucoup passent de postes de permanents politiques à candidats ? La rénovation du PS passe par une remise en adéquation sociologique et politique de ceux qu'il a vocation à représenter. La rénovation enfin doit conduire à un projet cohérent proposant de manière lisible une nouvelle répartition des richesses. La gauche doit cesser de transiger sur son identité et elle doit renouer avec la réalité sociale. C'est sa capacité à parler avec sincérité qui lui permettra de retrouver le chemin de la victoire et d'engager un changement en profondeur dans la société.

    2 commentaires
  • La vigueur de l'euro fait sentir ses effets négatifs sur l'industrie européenne, et de plus en plus de voix dénoncent une politique monétaire « restrictive » de la Banque centrale européenne (BCE). Entre ceux qui soulignent le déficit de compétitivité avant tout structurel de l'économie française, et les autres qui s'alarment d'une désindustrialisation accélérée du pays en raison de la donne monétaire actuelle, que faut-il penser ? Entretien avec Jacques Généreux. La BCE a relevé ses taux sept fois depuis 2005 et va les relever encore, à 4 %. Pourquoi ? Jacques Généreux : Ce n'est pas une surprise. Les traités assignent à la BCE de donner la priorité à la stabilité des prix. Dès l'instant où elle commence à réviser ses prévisions de croissance et voit l'inflation se rapprocher de la limite de 2 %, la hausse des taux est quasi certaine. L'euro est-il surévalué ou son niveau reflète-t-il le « dynamisme de l'économie européenne », comme le dit l'OCDE ? Jacques Généreux : Il y a trois raisons à l'appréciation continue de l'euro. D'abord, pour la première fois depuis dix ans, la zone euro a une croissance plus élevée que les Etats-Unis. D'où un afflux de capitaux vers la zone euro et une appréciation de la monnaie. Ensuite, la BCE accentue ce mouvement en relevant ses taux et, comme cette politique suit une doctrine constante et prévisible, elle incite les spéculateurs à anticiper la hausse en renforçant leurs placements en euros. Enfin, tandis que les autres puissances ont une politique délibérée de dépréciation de leur monnaie, l'UE n'a aucune politique de change. En théorie, les gouvernements de la zone euro doivent définir les orientations de la politique de change, mais, faute de consensus, ils n'en définissent aucune. Et ces éventuelles orientations ne pourraient contraindre la BCE à mener une politique de taux qui contrarie son objectif prioritaire de stabilité des prix. Si la hausse de l'euro reflète en partie la force économique de l'Europe, elle montre aussi sa faiblesse politique. Cette hausse menace-t-elle nos industries comme s'en alarment certains patrons ? Jacques Généreux : Il y a des gagnants et des perdants. Parmi ces derniers, on trouve les exportateurs de produits industriels fabriqués dans la zone euro et vendus en dehors : aéronautique, armement, automobile, pharmacie... Un euro qui frôle 1,40 dollar devient un facteur de délocalisations vers la zone dollar, comme l'a noté Airbus. Sont aussi pénalisés les producteurs de biens de consommation exposés à la concurrence américaine ou asiatique, et leurs salariés qui subissent ce chantage : modération salariale ou délocalisation. Mais il y a des gagnants : ceux qui importent et paient en dollars les matières premières ou qui vivent de la distribution de produits importés ; les consommateurs européens qui bénéficient de meilleurs prix ; les spéculateurs. Tous les pays sont-ils égaux face à l'euro ? Jacques Généreux : Certains s'en sortent mieux, comme l'Allemagne ­ premier exportateur mondial ­, dont la compétitivité, structurelle, vient de la qualité de ses spécialisations. Quand vous faites des produits hauts de gamme et à forte valeur ajoutée, le prix n'est plus le critère essentiel et la sensibilité aux variations de change, moindre. La France est plus portée vers les biens de consommation et les pays susceptibles d'acheter nos biens d'équipement - un quart de nos exportations - sont souvent situés hors de la zone euro. Ces divergences d'intérêt montrent que l'euro fort n'est pas bon ou mauvais. La science économique elle même serait bien en peine de dire quel est le bon taux de change. S'il n'y a pas de taux de change idéal, sur quels critères faut-il se définir ? Jacques Généreux : Sur une hiérarchie des finalités sociales qui reflète un choix purement politique. Exemples. Le pétrole est meilleur marché grâce à un euro fort. Soit, mais faut-il favoriser ainsi sa consommation, ou vaut-il mieux que les prix des produits pétroliers reflètent leur rareté et leur nocivité réelle afin de nous inciter à nous tourner vers des sources d'énergie renouvelables et non polluantes ? Faut-il préserver une industrie aéronautique européenne ou acheter moins cher nos écrans plats coréens ? Voilà en quels termes les questions devraient se poser, en termes de stratégie industrielle et de modèle de société. En démocratie, un tel arbitrage ne peut être confié qu'à des gouvernements élus, et non à une Banque centrale qui applique mécaniquement une doctrine constante : le monétarisme. Pour parvenir à ces changements, il faut donc changer les statuts de la BCE ? Jacques Généreux : C'est le minimum, mais c'est difficile puisqu'une telle réforme exige l'unanimité. Cela n'interdit pas de se mobiliser pour obtenir au moins la révision des objectifs de la BCE, sans remettre en cause son indépendance. Telle la Fed américaine, la BCE devrait poursuivre une politique monétaire visant la croissance, le plein emploi et la stabilité des prix et arbitrer entre ces objectifs en fonction de l'urgence. De plus, comme aux Etats-Unis, les délibérations de la BCE devraient être rendues publiques, et offrir ainsi aux citoyens les moyens d'évaluer l'orientation de la politique monétaire. Nicolas Sarkozy n'a cessé, durant sa campagne, de s'en prendre à l'euro fort. Il promet de doter la zone euro d'un « gouvernement économique ». Est-ce la solution ? Jacques Généreux : Il a déjà changé d'avis en déclarant qu'il ne remettrait pas en cause les statuts de la BCE ! Et, de toute façon, l'Europe a déjà un gouvernement économique : la BCE. Ce qui lui manque, c'est un gouvernement politique capable de définir à la majorité (et non à l'unanimité), une politique de change, une politique industrielle, des instruments de protection contre la concurrence déloyale... L'Europe me fait penser à une armée qui part en guerre sans ses armes. Elle est la plus exposée à la guerre économique mondiale, mais elle s'interdit d'employer les instruments qu'utilisent ses concurrents américains, japonais ou chinois pour défendre leurs intérêts. Entretien réalisé par Christophe ALIX.

    1 commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires